Que pouvez-vous nous dire sur l'histoire de votre entreprise ?
“L'histoire de la Brasserie Keersmaekers commence en 1906, c'était une brasserie locale à Oud-Turnhout, qui produisait des bières de haute fermentation. Aujourd'hui, la cinquième génération est active dans notre entreprise familiale. Je n'ai jamais connu mon arrière-grand-père, mais c'est lui le fondateur. Très jeune, j'ai encore pu accompagner mon grand-père, sur son vélo, lorsqu'il allait prendre les commandes de bière brune ou légère, de limonade jaune ou blanche. Il n'y avait pas plus que ça. À l'époque, on demandait même de l'eau "avec des bulles", aujourd'hui on dirait de l'eau pétillante.”
“Mon père était bien conscient qu'après la guerre la brasserie n'était plus assez rentable pour continuer à subsister à long terme en tant que brasseur. L'activité de brasserie a été arrêtée en 1952, mais depuis 1946 nous avions déjà commencé l'activité de distribution avec la bière Maes, bière de basse fermentation qui rencontrait l'approbation de tous et supplantait la haute fermentation. Ainsi l'arrêt d'une activité a-t-il été compensé par le développement de l'autre. Cela a pris toute une génération - jusqu'en 1982 - avant que nous ne recommencions à brasser. La demande de recommencer à brasser était venue plusieurs fois de la part du cercle folklorique et de l'association touristique de Oud-Turnhout, mais je devais toujours répondre que j'aurais bien voulu essayer mais que je n'avais plus de brasserie."
Qu'est-ce qui vous a poussé à franchir quand même le pas ?
“J'ai eu l'inspiration à la Saint-Valentin 1982. J'étais en route pour le conseil d'administration de ce qui était alors la Fédération des Négociants en Bières - rebaptisée ultérieurement FEBED. Sur la route entre Anvers et Bruxelles, un touriste canadien faisait du stop. Je l'ai fait monter et il m'a raconté qu'il avait visité une abbaye en Ardenne et y avait bu une excellente bière, il avait trouvé magnifique l'architecture de cette abbaye. Mais je connaissais naturellement aussi le prieuré de Corsendonk et j'ai réagi en affirmant que "cette architecture est selon moi encore beaucoup plus belle". Il posa alors la question : "Y a-t-il aussi une bière ?", j'ai répondu du tac au tac "Not yet. Pas encore". Le même jour j'ai fait déposer la marque et le 9 novembre 1982 nous avons présenté la bière à la presse. La bière était brassée à la Brasserie du Bocq. Plus tard nous sommes devenus propriétaires à 100% de la brasserie. Cela s'est fait progressivement, car durant une décennie nous avons racheté chaque année 10% de la brasserie. Ce n'est qu'en 2014 que nous avons fait savoir que nous étions propriétaires à 100% de la brasserie. Il y a d'ailleurs une petite anecdote à ce propos. Lorsque nous avons fait cette annonce, tout avait été bien concerté à l'avance. Je ne devais rien préparer. Tout était mis sur papier et je n'avais plus qu'à lire. Le précédent propriétaire devait lire les deux premières pages et moi la dernière. Mais le précédent administrateur, Pierre Boedts, ne s'est pas arrêté après deux pages, il a lu jusqu'au bout et m'a ensuite cédé la parole. J'ai alors dû improviser, à défaut de texte écrit, et j'ai parlé avec mon cœur. La chanson "La ballade des gens heureux” de Gérard Lenorman m'a donné l'inspiration : l'objectif de la brassrie est de faire de nos collaborateurs des gens heureux. Bien brasser une excellente bière nous rend heureux, parce qu'alors la brasserie peut persister et nous pouvons bien payer nos collaborateurs."
“La Brasserie du Bocq est également une entreprise familiale, avec d'excellents collaborateurs, qui sont tous restés à leur poste. La famille Belot, en collaboration avec l'administrateur délégué externe, Francis Deraedt, a porté en dix ans la production de 50.000 à 110.000 hl. Les bières du Bocq, Corsendonk et Tempelier sont exportées dans 48 pays, dont les États-Unis, l'ancienne Union Soviétique, la Chine et de nombreux pays d'Asie et d'Europe.
Y a-t-il certaines choses que vous voyez aujourd'hui sur le marché et qui ont une influence importante sur le fonctionnement d'un négoce de boissons ?
“Aujourd'hui, je constate une explosion du nombre de boissons, pas seulement les bières, mais aussi toutes les autres boissons disponibles pour le consommateur. Si cela continue à proliférer de cette façon, le consommateur va y perdre totalement son latin. Dans les années soixante et septante, on a pu observer une tendance similaire. À l'époque il y avait aussi quantité de brasseries locales qui commercialisaient leur propre bière locale de basse fermentation, comme Bergenbier, Ekla, Van den Heuvel, Wiel’s, Safir, Krüger, Lamot, Chevalier Marin, Welta, Tivoli, Mena, Golding Campina, Munck, Atlas, Perle Caulier, Helles XL, Elberg, White Star Leopold, Helles Concordia, Celta Meiressonne… Elles ont toutes fini par disparaitre parce que ces petites brasseries n'ont pas pu suivre avec le procédé de basse fermentation. C'était naturellement un problème quand le consommateur voulait un changement de gout. Aujourd'hui, 80% de la bière bue dans le monde est encore de la bière de basse fermentation. Une offre large et diversifiée est une bonne chose, mais une prolifération de l'offre n'est pas une bonne idée et sera sanctionnée par le consommateur par une baisse de la consommation de bière."
Quels éléments sont importants pour pouvoir connaitre le succès comme distributeur en boissons ?
“Il y a deux éléments, qui ont quand même une plus-value importante dans ma vision. Premièrement la création d'une marque propre est une étape pour pouvoir faire la différence. C'est une étape difficile, mais elle améliore très fortement votre position sur le marché. Une deuxième option est d'obtenir l'exclusivité sur certaines marques étrangères. Cela peut même se faire en collaboration avec certains collègues. C'est, tout comme la création d'une marque propre, une manière de se distinguer en tant que distributeur en boissons. Parallèlement, il vous faut être très prudent, car ces marques seront bien contentes de vous voir travailler avec elles en exclusivité et de leur ouvrir la porte. Mais il faut, dès le départ, penser à l'avenir. Dès qu'une marque commence à bien marcher, ce n'est qu'à ce moment que cela devient intéressant pour les deux parties. En tant que distributeur en boissons, vous avez jusqu'alors fourni pratiquement tous les efforts pour installer la marque sur le marché. La marque étrangère n'a, jusque-là, fourni que peu d'efforts, voire aucun. Mais à partir du moment où un volume correct est réalisé, ils veulent bien profiter aussi des revenus. Il est important, en tant que distributeur en boissons, de bien y réfléchir à l'avance afin de ne pas perdre votre distribution exclusive au moment où vous pourrez récolter les fruits de votre travail."
"La créativité est encore toujours une clé du succès. Si vous faites tout comme les autres, vous ne donnez pas au client l'envie de venir faire ses achats chez vous. Par exemple aujourd'hui nous proposons à nos clients l'e-commerce. Le client peut passer sa commande online et choisir où les boissons doivent être livrées. Nous offrons cette possibilité depuis peu et il apparait déjà clairement que cela ne fera que croitre."
Avez-vous vu changer les préférences du consommateur ?
“Les drinkcenters sont devenus beaucoup plus importants, par rapport au passé. Le nombre de cafés va en diminuant et le consommateur boit davantage à la maison et reçoit une offre large au supermarché. Il faut alors montrer au client que votre drinkcenter offre une réelle plus-value en matière de service, d'offre, de connaissance du produit… Vous pouvez par exemple offrir aux clients des dégustations. Si vous ne pouvez lui proposer qu'une gamme limitée et ne lui offrez aucun service supplémentaire, le client n'aura aucune raison de faire ses achats dans votre drinkcenter, il pourra tout aussi bien allez acheter ses boissons au supermarché. Mais si, en tant que distributeur en boissons, vous pouvez montrer votre valeur ajoutée, vous donnez au consommateur une raison claire pour laquelle il vaut beaucoup mieux qu'il aille acheter ses boissons chez un distributeur en boissons. La collaboration avec des distributeurs en boissons a aussi une grande importance, même au niveau des consommateurs comme chez Prik & Tik et Drinxit.”
“On le voit aussi dans d'autres secteurs. Au fil des ans, le nombre de boulangers, de bouchers, de poissonniers a reculé : les gens pouvaient de toute façon tout trouver dans un supermarché, donc pourquoi vous rendre à trois adresses différentes alors que vous pouvez tout trouver au même endroit ? Mais le consommateur d'aujourd'hui a entretemps constaté, souvent à ses dépens, qu'il y avait un manque de diversité dans les supermarchés. Que la qualité n'était pas au même niveau. Qu'il n'y avait pas de personnel disposant de la connaissance des produits. Quand je vois comment certains boulangers et bouchers voient à présent leur boutique prospérer, je me dis que nous devons prendre exemple sur eux. Ils offrent un large assortiment de produits hautement qualitatifs. Avant, vous aviez le choix entre un pain gris et un pain blanc. Aujourd'hui les boulangers offrent divers pains spéciaux, mais pas trop non plus, afin que le consommateur puisse encore faire un choix. De plus, le service que vous recevez chez un boulanger ou boucher indépendant est, tout comme celui d'un distributeur en boissons, beaucoup plus élevé que ce que vous obtiendriez dans des grandes surfaces, où vous devez "tirer votre plan" tout seul, vous devez même y couper votre pain vous-même, là est la différence."
"Un avantage des drinkcenters est notre emballage. Chaque consommateur aujourd'hui se soucie de l'environnement. Nos océans débordent de plastique et ce plastique nous le retrouvons encore dans le poisson que nous mangeons. Le verre ne présente pas ce problème. Rien n'est plus pur que le verre. Naturellement, cela demande plus de discipline car cela pèse plus lourd et il faut ramener les bouteilles vides. Mais nous devrons faire preuve de plus de discipline dans tout. Si vous vous souciez vraiment de l'environnement, alors il vaut mieux acheter vos boissons en emballages de verre retournables plutôt qu'en bouteilles de plastique ou en canettes, qui trainent partout et doivent être ramassées par la voirie. Sur ce plan, nous devrions prendre exemple sur l'Allemagne. Les distributeurs en boissons, avec FEBED, doivent lancer en collaboration avec les organisations écologiques une grande campagne pour nos drinkcenters sous le slogan : "Sauvez notre terre. Achetez toutes vos boissons en bouteilles de verre réutilisables. Bien meilleur pour notre environnement et meilleur marché !".
Quel est, selon vous, le rôle que FEBED doit remplir ?
“Le maintien de la saine concurrence et la libre circulation des marchandises sont essentiels, et FEBED doit être en première ligne pour défendre le système. Cela doit naturellement aller de pair avec des prestations réciproques. Nous ne pouvons pas exiger que des conventions d'approvisionnement en boissons ne servent qu'à protéger notre activité. Le distributeur en boissons doit investir dans l'horeca, et doit recevoir quelque chose en contrepartie. C'est la logique même. Je ne connais aucune entreprise qui investit dans une affaire et ne reçoit rien en échange. Mais je veux aussi regarder l'avenir de façon très positive. Nous devons avoir confiance dans la force du distributeur en boissons indépendant. Ainsi nous aide FEBED. Vivat, Crescat, Floreat !”